LA CHRONIQUE STRATÉGIQUE : La couleur fait-elle le luxe ?

Héritée ou choisie, récente ou historique, opportuniste ou visionnaire, la couleur est pour une marque sa première identité. Bien plus que ça, elle déterminerait presque sa personnalité, voire sa destinée. A moins que ce ne soit l’inverse !
Si on observe un « pantonier » du luxe, ses dignes représentants mondiaux, souvent français ont opté pour la non couleur. Chanel, St Laurent, Dior, Givenchy, Lancôme, Guerlain, Sisley, Montblanc …se déclinent ainsi en noir, blanc, gris, or ou argent. Des tons qui incarnent désormais le haut de gamme et le luxe conventionnel, quasi éternel que construisent ces temples modernes.
D’autres marques plus anciennes possèdent de tout temps une couleur franche dans leur Adn. Le Rouge Cartier, le Rouge Baccarat sont de vraies dénominations, des imaginaires et des territoires d’expression à eux seuls, déclinés aisément sur tous les supports en parfaite incarnation d’un luxe glamour ou royal dans des lieux davantage expressions de la tentation.
Aux US, pendant ce temps là, point de roi : ce fut donc le turquoise que choisit Tiffany pour sa boîte, célèbre dès le XIX è siècle.
Vuitton et Hermès, tous deux malletiers-maroquiniers, possédaient le brun en commun jusque sous l’occupation, quand, manquant des colorants habituels, la maison Hermès dut abandonner ses traditionnels étuis marron pour des boîtes orange dont elle adopta définitivement la teinte. Simple hasard ou pouvoir de la couleur, les destins des deux maisons n’eurent cessé de diverger. La marque orange commençà alors à s’inspirer de l’Orient, à instiller une touche de fantaisie dans son luxe et à jouer le trublion, revendiquant un artisanat haut de gamme, «différent» face à la «production en masse» de son rival. L’orange devint presque plus légitime que le brun !
Une autre marque doit aussi son caractère frondeur à sa célèbre couleur, Veuve Clicquot et son orange surnommé Yellow Clicquot, inventé et apposé par Madame Clicquot en 1877 sur les étiquettes de ses bouteilles pour lutter contre les contrefaçons. L’acte était visionnaire – adopter une autre couleur que ses concurrents reste une stratégie pleinement actuelle – et ce fut sur ce jaune Clicquot anticonventionnel que se construisit la fantaisie, l’audace et la personnalité « joyfull » légendaire de la maison.

Pour les marques plus récentes, le choix de la couleur s’est davantage posé.
Certaines marques voulant devenir de nouveaux classiques du luxe optent pour les non couleurs. Mickael Kors, Theory, Vince définissent ainsi le nouveau luxe version US.
D’autres assument davantage leur personnalité et leurs origines plus latines : la marque italienne Acqua di Parma se pare d’un jaune méditerranéen tandis que la Prairie, née en Suisse opte pour un bleu glacier, envoûtant et cosmique comme ses produits. Enfin, le français Louboutin eut l’audace d’apposer son rouge glamour comme signature et symbole d’une féminité exacerbée.

La couleur est pour les marques un étendard qui incarne leurs valeurs, voire leur tempérament et qu’on porte haut dans le combat de visibilité sur les terrains de l’identité visuelle, du retail et de la communication.
Il est aussi intéressant d’observer qu’en temps de crise – le luxe n’y échappe pas – ce sont les marques aux couleurs vives qui résistent le mieux ou plutôt attirent. Hermès, Veuve Clicquot, Cartier en sont de dignes représentants. Quand le monde a les idées noires, le luxe se rêve en couleurs. Le pantonier servira t-il un jour à lire l’avenir des marques?
En attendant, jouons la couleur.

Gilles Caillet